Une soif de découvrir le monde
J’ai toujours eu ce besoin viscéral de mouvement, cette envie d’explorer. Avec une mère italienne et un père franco-autrichien, j’ai grandi entre plusieurs cultures, entourée par les langues étrangères et les récits de voyages.
En 2013, j’ai commencé à partager des vidéos de loisirs créatifs sur YouTube sans attente particulière, je n’avais que 10 ans, c’était vraiment une passion pour moi. J’ai toujours été animée par cette idée de transmettre et partager mes connaissances. Je me suis dit : ce que j’aurais aimé apprendre sur internet, je peux l’enseigner à quelqu’un d’autre.
Puis, à mes 14 ans, j’ai eu l’opportunité de partir aux États-Unis pour un échange scolaire de cinq mois. Ce voyage a marqué un tournant : c’est à ce moment-là que j’ai compris que je voulais voyager le plus possible et faire mes études à l’étranger.
Alors, je me suis donné les moyens de construire mon avenir comme je le désirais. Après le bac, j’ai suivi un parcours classique en intégrant une école de commerce en France, dans un programme anglophone, avec la possibilité de partir dès les premières années à l’étranger. Très vite, j’ai senti un décalage. Ma manière de penser, mes envies, mes aspirations… tout cela ne collait pas vraiment avec l’environnement dans lequel j’évoluais. J’ai compris que je n’étais pas à ma place, et ça a eu de gros impacts sur ma santé mentale. Après quelques mois, j’ai pris la meilleure décision de ma vie : envoyer ma lettre de démission à l’école et partir faire le tour du monde.
J’ai trouvé du travail et j’ai reçu un important soutien financier de mes parents, ce qui m’a permis d’économiser de l’argent pour voyager. Le 13 septembre 2022, j’ai décollé pour un an de voyage. Je n’avais rien planifié à l’avance, j’avais décidé de me laisser porter… Au total, j’ai exploré dix-huit pays, je suis devenue prof de yoga, et j’ai découvert des lieux hors du commun. Je documentais mon voyage sur les réseaux sociaux, non pas avec une stratégie précise, mais juste avec l’envie de partager un mode de vie différent.
Arrêter les études est souvent perçu comme un choix marginal ou mal vu par la société. Pourtant, prendre du recul pour mieux se connaître, explorer d’autres horizons ou simplement apprendre différemment peut être une démarche profondément enrichissante, il n’y a rien d’un échec là-dedans, au contraire. C’est ce que j’ai essayé de montrer sur les réseaux. J’ai eu la chance de pouvoir vivre 365 jours de liberté totale, de découverte et de challenges. C’était une grande chance pour moi de pouvoir prendre ce temps, ainsi que d’en avoir les moyens grâce au soutien sans faille de mes proches, mais c’était aussi et surtout une opportunité à saisir.
Un choc brutal
Comme prévu, mon voyage a pris fin le 13 septembre 2023. J’étais épuisée à cause du rythme soutenu de mon aventure, mais heureuse et avec des projets pleins la tête : monter mon entreprise de Community Management, faire des formations, être libre de voyager avec mon travail… J’étais pleine d’élan, et surtout d’une certitude : il était impensable pour moi de me fondre à nouveau dans le moule d’une vie toute tracée. Ce que je voulais, c’était continuer à vivre autrement, à construire un quotidien aligné avec mes valeurs et ma quête de liberté.
La vie a une manière bien à elle de nous rappeler qu’elle peut basculer en un instant. Quelques jours après mon retour, des maux de têtes violents et inexpliqués sont apparus. Après de fortes douleurs dès le réveil et des vomissements à jeun, ma mère a eu l’instinct de m’emmener à l’hôpital. Le médecin m’a fait passer un scanner puis une IRM en urgence et le verdict est tombé : une tumeur célébrable de la taille d’une balle de golf, dans le lobe frontal droit de mon cerveau.
Tout s’est enchainé très vite. On a dû m’opérer en urgence le 3 octobre 2023. Etonnamment, j’avais très peu d’appréhension pour l’opération en elle-même, c’est l’hospitalisation qui m’inquiétait, et cette sensation que mon corps m’avait trahie… Suite à l’opération, j’ai été hospitalisée une semaine, et j’ai passés quelques semaines de convalescence. En toute franchise, avant que les résultats de la biopsie n’arrivent, j’étais convaincue que la tumeur était bénigne. Mon choc fut énorme lorsque j’ai dû prendre la décision d’entamer des traitements. J’ai donc suivi une chimiothérapie pendant 6 mois, ainsi que 7 semaines de protonthérapie. Mon corps est devenu une prison que je ne contrôlais plus. Moi qui avais toujours foncé tête baissée dans la vie, je suis devenue dépendante des soins.
Quand on vous annonce un cancer, un oligodendrogliome de haut-grade, à cet âge-là, tout s’effondre. Comment gérer ce diagnostic quand on a 20 ans, sans stabilité financière ni professionnelle ? Je me suis retrouvée dans un monde qui n’est pas du tout le mien : celui des hôpitaux, des parcours de soin et des médecins qui parlent avec des termes inconnus.
Composer avec une nouvelle réalité
Ces mois m’ont appris une chose essentielle : la force, on ne la découvre vraiment que dans l’adversité. J’ai dû réapprendre à vivre autrement, à accepter que mon corps ait ses limites et voir mes projets différemment.
Le jour de mon opération, je repense à une formation qui était censée commencer le jour même ; j’ai du tout décaler en me disant « est-ce-que j’aurais l’envie, la force de le faire ? ».
Cette simple formation de marketing digital est devenue un objectif, une façon de me prouver à moi-même que je pouvais continuer, comme avant. Celle-ci venait à peine de se terminer, que j’avais déjà signé avec des clients et commencé leur accompagnement.
J’ai démarré mon activité en freelance lors de mon premier cycle de chimiothérapie. J’avais assez peu de marge de manœuvre pour m’adapter, mais c’était le seul fil qui me tenait hors du cancer. Je tenais énormément à ce projet, mais il était difficile de trouver des clients alors que je ne pouvais pas garantir ma disponibilité. Comment bâtir quelque chose quand on ne sait même pas si, le lendemain, on aura assez d’énergie pour sortir du lit ?
Mon type de tumeurs est traitable, mais je ne peux pas en guérir. La récidive est quasi-certaine à ce jour, et d’après les médecins ce n’est qu’une question de temps. J’ai donc vite compris que j’aurais besoin de commencer à construire aujourd’hui la stabilité dont j’aurais besoin à l’avenir, lorsque je retomberai malade. J’ai aussi compris que ce serait un combat, que je m’imposais à moi-même, ayant toute la stabilité nécessaire grâce à mes parents.
Je devais jongler entre les jours où j’avais un peu d’énergie et ceux où j’étais clouée sur mon canapé. C’était beaucoup de pression, et une lourde charge mentale, mais qui me permettait de continuer d’avancer. Ma carrière professionnelle, ainsi que mon besoin de stabilité financière et d’indépendance ont été mon moteur.
Puis il y a eu l’après cancer, cette période dont on parle si peu. Quand les soins s’allègent, que les médecins vous disent que la maladie est sous surveillance, mais que vous, vous êtes encore au milieu du chaos. J’ai développé de vraies peurs : de manquer d’indépendance, d’argent et mon rapport à mon mode de consommation est devenu obsessionnel. Comment trouver l’équilibre entre sa vie de jeune adulte et de malade ?
À présent, je n’ai plus d’horaires fixes de chimiothérapie, plus d’allers-retours constants à l’hôpital, mais une fatigue écrasante, des séquelles invisibles et une vie à reconstruire. Quand on a 20 ans, les tâches administratives semblent plus compliquées, c’est une charge mentale supplémentaire et j’avais besoin d’aide pour tout gérer. Si je me consacrais à ma vie professionnelle, je n’avais plus l’énergie d’aller au sport, de bien m’alimenter, de prendre soin de moi.
Pendant les quelques mois qui ont suivi la fin des traitements, mon équilibre personnel est devenu ma priorité. Ma batterie sociale est sans cesse déchargée. Les trois piliers de ma vie : perso – pro – social ont tous été chamboulés sans même que je m’en rende compte. Mon après-cancer n’est pas un retour à la normale, c’est une transition incertaine entre ce que j’étais avant et ce que je dois devenir maintenant.
Se réapproprier sa vie
Aujourd’hui, à 22 ans, je me rends compte que la vie est très courte. Le temps pour moi passe à une vitesse folle et je me dis que je ne vois pas assez mes proches, j’ai peur que tout s’envole et que je n’ai pas eu le temps de l’apprécier. Je ne veux pas me laisser définir par la maladie. Je sais qu’elle est là, qu’elle fait partie de moi, mais elle ne m’empêchera pas de vivre.
Je continue de partager mon parcours sur les réseaux, non pas pour susciter la pitié, mais pour donner une voix à ceux qui vivent la même chose. On parle trop peu de ce que signifie être malade jeune. De l’impact sur la carrière, sur les finances, sur la vie sociale. Des montagnes administratives à gravir, des décisions médicales à prendre, sans toujours tout comprendre. À 7 mois de la fin des traitements, je suis toujours dans le brouillard. Les séquelles cognitives font surface, et prennent beaucoup de place.
Sans mes proches, mon quotidien serait invivable ; le parcours vers l’indépendance est encore long. J’ai repris le travail, en entreprise, avec des horaires de travail adaptés. Je suis très loin du temps plein, mais retrouver une activité me permet de garder un équilibre, de parler d’autre chose que du cancer, et surtout de me garantir un minimum de revenu à la fin du mois. Je crains souvent de décevoir la version de moi-même qui revenait de voyage, des rêves pleins la tête. Mais pour avancer, je dois me reconstruire autrement, en prenant en compte mes nouvelles faiblesses ainsi que ma nouvelle vision du monde.
Je veux croire que, malgré tout, l’avenir peut être lumineux. J’ai encore des rêves à réaliser, des endroits à explorer, des expériences à vivre. La maladie m’a appris que la vie est incertaine, imprévisible, et qu’on ne doit jamais attendre pour faire ce qui nous fait vibrer.
Oui, le cancer a bouleversé mon existence. Mais il ne me définit pas. C’est moi qui décide de l’histoire que je veux écrire.